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1 novembre 2009 7 01 /11 /novembre /2009 17:00


Gaziantep (Antep la victorieuse) doit son nom aux actes de résistance de ses habitants contre les Alliés au lendemain de la Première Guerre mondiale. Les forces franco-italo-britanniques étaient alors présentes sur le territoire turc pour faire appliquer le Traité de Sèvres (1920) qui prévoyait le démantèlement de l'Empire ottoman, la création d'une Arménie indépendante dans le Nord-Est et d'un Kurdistan autonome dans le Sud-Est. Ce traité ne sera finalement jamais ratifié par l'ensemble de ses signataires...


La carte de la Turquie avec Gaziantep en point de mire.


Dans le centre de la ville se dresse le château fondé au VIe siècle et remanié par les Seldjoukides aux XIIe et XIIIe siècles. Il a survécu aux aléas de l'histoire et se présente fièrement sur un tertre qui semble artificiel. Je ne peux malheureusement pas le visiter car il est en cours de restauration.


Le château (VIe-XIIIe siècles).


Je me dirige alors vers le Musée ethnographique Hasan Süzer. J'y trouve quelques stèles dignes d'intérêt comme celle-ci, évoquant le passé polythéiste de la région.


Teshup, dieu de la Foudre, tenant une hache et un trident (750-700 av. J.-C.).


Ou encore celle-là, montrant le roi mésopotamien Antiochos Commagène qui se croyait l'égal des dieux.


Antiochos serrant la main d'Apollon (60-40 av. J.-C.).


Une autre stèle témoigne du passé chrétien de l'Anatolie à l'époque byzantine.


Deux moines chrétiens (IIe siècle).


Le Musée archéologique, lui, abrite quelques-unes des plus belles mosaïques au monde. Parmi celles-ci, un visage énigmatique. Certains ont cru reconnaître le portrait d'Alexandre le Grand, d'autres, celui de Gaïa, une déesse identifiée à la Terre-Mère. En attendant une preuve tangible, on l'appelle tout simplement "La Bohémienne" à cause de sa coiffe et de ses cheveux désordonnés.


"La Bohémienne" (IIe siècle).


D'autres mosaïques se distinguent par leur composition et leurs couleurs. Beaucoup sont miraculeusement intactes.


Achille envoyé à la guerre de Troie par Odyssée (fin IIe siècle).


On y trouve des scènes de la mythologie grecque nous renvoyant à notre propre histoire. Ici, Europa, en se laissant séduire par Zeus, le dieu des Dieux, gagnera la célébrité éternelle en donnant son nom à un continent.


Zeus, sous les traits d'un taureau, emportant Europa sur son dos (IIe-IIIe siècles).


Toutes ces mosaïques proviennent de Zeugma, une cité antique construite sur les rives de l'Euphrate, non loin d'ici. Alors que le site est menacé par la construction du barrage de Birecik en 1995, des fouilles sont entreprises d'urgence. Elles vont permettre de mettre au jour de nombreux bâtiments importants (temples, théâtre, nécropole) et de grandes demeures romaines.


Aphrodite traversant la mer à bord d'une coquille d'huître (fin IIe-début IIIe siècle).


Les archéologues, conscients de l'intérêt exceptionnel des peintures murales et des mosaïques découvertes sur place,
 les prélèvent pour les mettre à l'abri dans le musée archéologique de Gaziantep et se dépêchent de protéger le site avant la mise en eau du barrage en l'an 2000.


Océan et son épouse Téthys, deux divinités marines (IIe-IIIe siècles).


Malheureusement, quelques années plus tard, lors de la première vidange du réservoir, ils ne pourront que constater les dégâts. Le site, malgré les précautions prises, a grandement souffert de l'inondation et est quasiment détruit. Il nous reste seulement ces quelques chefs-d'oeuvre...


Euphrate, dieu des Rivières (IIe-IIIe siècles).


Dans le quartier du bazar, je m'arrête devant un fırın (four) dont les pide, sorte de pains plats qui se consomment nature ou garnis, me paraissent délicieux.


Les pide sortant du four.


On m'invite à l'intérieur et on m'offre le thé. J'ai alors tout le loisir de regarder les mitrons en train de travailler la pâte.


L'artisan-boulanger et ses mitrons au travail.


Tandis que j'observe l'artisan-boulanger, je le vois cracher dans le four. Il m'explique que c'est juste pour vérifier qu'il est à bonne température ! Ah bon...


L'artisan-boulanger devant son four à pain.


Gaziantep est la capitale de la pistache (12 % de la production mondiale vient de Turquie). A ce titre, on y trouve les meilleurs desserts à base de pistache qui soient. Ici, du kadayıf, une pâtisserie dont la pâte, très fine, ressemble à des cheveux d’ange.


La préparation du kadayıf.


Est-il nécessaire de préciser combien c'est délicieux ?


Le kadayıf sortant du four.


Les baklavas de Gaziantep sont également exceptionnels et que dire de la glace à la pistache ? C'est certain, si vous passez à Gaziantep, votre estomac vous en sera éternellement reconnaissant...

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25 octobre 2009 7 25 /10 /octobre /2009 17:00


Halfeti est un village de la vallée de l'Euphrate dont l'existence s'est trouvée transformée en l'an 2000 après la mise en eau du barrage de Birecik à 40 km en aval. Ce barrage fait partie d'un vaste programme d'aménagement du Sud-Est anatolien (projet GAP) dont le but principal est d'irriguer 1,7 million d'hectares de terres arides grâce à la construction de 22 barrages sur le Tigre et l'Euphrate.


La carte de la Turquie avec Halfeti en point de mire.


Alors que nous approchons d'Halfeti, je montre une photo de "Capitaine Mehmet" au chauffeur du minibus. Je dois le retrouver afin de lui remettre des photos de la part de Nathalie, mon amie d'Istanbul. Il le connaît. D'ailleurs, tout le monde le connaît ici car c'est l'officier de la capitainerie du petit port d'Halfeti. Le chauffeur me dépose alors directement sur le quai tandis que quelqu'un va le prévenir. C'est ainsi que je fais la connaissance de ce tout petit bonhomme au grand coeur.


"Capitaine Mehmet" posant devant son bateau.


En tant qu'ami de Nathalie, il est hors de question que j'aille à l'hôtel. Il m'invite donc à venir manger et passer la nuit chez lui dans sa famille. Rendez-vous est donc pris pour le soir. En attendant, il me propose une balade en bateau avec son fils. J'accepte volontiers cette promenade sur l'eau, d'autant que la journée a été très chaude.

C'est donc en bateau, par une belle fin d'après-midi, que je découvre le village d'Halfeti, ses maisons en pierre de couleur ocre et sa mosquée... baignant dans les eaux !


La mosquée baignant dans les eaux.


En fait, c'est toute une partie du village qui, après la mise en eau du barrage, s'est trouvée engloutie. A l'époque, de nombreux habitants ont été obligés de déménager. Ils ont été relogés dans de nouvelles maisons construites pour eux un peu plus haut sur le plateau. Aujourd'hui, le visage d'Halfeti a changé mais le charme du village, blotti au pied de la falaise, est resté intact.


Halfeti sur les bords de l'Euphrate.


Nous voilà donc partis en balade sur ce fleuve mythique qui a vu naître quelques unes des plus anciennes civilisations du monde.


La vallée de l'Euphrate, berceau de la civilisation.


Notre embarcation évolue dans un paysage splendide. De chaque côté, des falaises abruptes semblent plonger dans l'eau. C'est le plus jeune des fils de "Capitaine Mehmet" qui tient la barre.


A bord, deux des fils de "Capitaine Mehmet" (au centre) et trois amis de la famille.


Bientôt, sur notre gauche apparaît l'ancienne citadelle de Rumkale. Sa position stratégique était connue dès l'Antiquité. Etablie sur une crête, au confluent de l'Euphrate et d'un de ses affluents, elle permettait de contrôler le trafic fluvial.


L'ancienne citadelle de Rumkale.


Nous décidons d'y faire une halte et accostons au pied de la falaise. L'accès se fait par un petit chemin escarpé taillé dans le roc. Une fois arrivé au niveau des ruines, on découvre une superbe vue sur la vallée de l'Euphrate.


La vallée de l'Euphrate et le chemin d'accès à la citadelle.


Le site est truffé de petites cavernes, en fait d’anciennes maisons troglodytiques, et de vestiges anciens.


Vue sur le Merzumen, un affluent de l'Euphrate.


Nous remontons à bord de notre embarcation et continuons notre promenade sur le fleuve. Un peu plus au Nord, sur la rive opposée, se trouve le village fantôme de Savaşhan. 400 habitants avant le barrage, un seul aujourd'hui... La route étant noyée sous les eaux, le village n'est aujourd'hui accessible qu'en bateau.


Le village fantôme de Savaşhan.


Les maisons sont abandonnées depuis une dizaine d'années et déjà, la végétation prend le dessus. Et dans le paysage aride de cette vallée engloutie, une image surréaliste : celle de la mosquée dont seul le minaret pointe hors de l'eau...


Le minaret de la mosquée de Savaşhan.


Mais l'heure avance et il nous faut songer à faire demi-tour. Yasin, pourtant habitué à emmener les touristes sur le fleuve, ne se lasse pas du paysage.


Yasin, à la proue du bateau lors du second passage devant les ruines de Rumkale.


Rendez-vous est pris le lendemain pour une nouvelle promenade en bateau, vers le Sud cette fois-ci. Nous partons de bon matin. Je suis seul à bord avec Yasin.


La lumière du matin sur les falaises abruptes.


De temps à autre, sur les rives apparaissent quelques hameaux abandonnés. Sur les hauteurs, des trous dans la falaise révèlent l'existence de nombreuses maisons troglodytiques.


Un hameau abandonné et d'anciennes maisons troglodytiques.


Au bout de deux heures de route, nous arrivons à hauteur d'un village de plus grande importance. Quelques rares habitants y vivent encore, préférant vivre loin de tout mais chez eux plutôt que sur le plateau, coupés de leurs racines.


Le village de Gümüşkaya köyü.


Et là, en contrebas des dernières maisons, à l'entrée d'une petite baie, une vision bien étrange.
Celle d'un minaret pointant sa flèche hors de l'eau, comme un dernier salut au ciel...


Le minaret de l'ancienne mosquée.


Sur le chemin du retour, Yasin me confie la barre, à charge pour moi de ramener le bateau à bon port... Pendant ce temps-là, lui, fait la sieste ! Me voilà ainsi promu, l'espace de deux heures, "capitaine" sur le fleuve mythique de l'Euphrate, ce dont je ne suis pas peu fier...


"Capitaine Hubert" à la barre.


L'aménagement du Sud-Est anatolien n'est pas sans conséquences. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été contraintes de quitter leur maison. L'environnement a subi des dommages irréversibles. De nombreux sites archéologiques ont disparu, noyés sous les eaux, et d'autres devraient subir le même sort car le plan d'aménagement, malgré les controverses et les retards, se poursuit encore aujourd'hui.


Les barrages déjà en service (en noir) et les quatre barrages restant à construire (en jaune).


Enfin, autre problème, et non des moindres, l'exploitation intense du Tigre et de l'Euphrate engendre des tensions avec les pays voisins situés en aval,
 la Syrie et l'Irak, pour qui ces deux fleuves sont vitaux. Demain, bien plus que le pétrole, l'eau risque d'être une source de conflits dans cette région du globe...

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18 octobre 2009 7 18 /10 /octobre /2009 23:10


Harran est cité dans le livre de la Genèse. Abraham y aurait résidé quelques temps sur le chemin qui allait le conduire d'Ur (dans le Sud de l'Iraq actuel) au pays de Canaan, la Terre Promise. Situé au croisement de plusieurs routes caravanières menant en Syrie, c'était un important carrefour commercial.


La carte de la Turquie avec Harran en point de mire.


Aujourd'hui, c'est un village paisible de la plaine mésopotamienne transformée, ces dernières années, en une plaine fertile grâce à l'irrigation. On a fait venir l'eau de l'Euphrate (à une centaine de kilomètres) pour y cultiver le coton. Quand j'arrive en fin de matinée, la chaleur y est accablante (entre 45 et 50°C) et les habitants sont cloîtrés chez eux.


Harran au milieu des champs de coton.


L'étudiant rencontré dans le minibus pour Harran me présente à son jeune frère qui se propose de me servir de guide. J'accepte bien volontiers. Quand celui-ci me dit son nom, je souris. Ibrahim (Abraham), quelle coïncidence... Après une petite collation sur le seuil ombragé de leur maison, la visite commence par le château. Il est malheureusement en très mauvais état. Seules subsistent deux des quatre tours d'angle d'origine.


Une des tours d'angle polygonales du château (XIVe siècle).


Aucun panneau n'en interdit l'accès et malgré le danger évident d'effondrement, je décide de suivre mon jeune guide à travers les ruines...


Les fragiles arcades du château.


La citadelle aurait été construite à l'emplacement d'un temple dédié à Sîn (dieu de la Lune). Certains pensent que son culte s'est poursuivi dans une des salles du château. C'est ainsi que le polythéisme aurait perduré dans la région jusqu'au IXe siècle.


Les salles voûtées du château.


Entre temps, une religion monothéiste gagna du terrain : l'islam. Des mosquées furent construites un peu partout. La Grande Mosquée d'Harran serait la plus ancienne de toute l'Anatolie puisque édifiée dès le VIIIe siècle. Malheureusement, il n'en reste presque rien aujourd'hui.


Les ruines de la Grande Mosquée (VIIIe siècle).


On peut seulement voir un minaret carré, assez inhabituel en Turquie, ainsi qu'un porche d'entrée ouvragé.


La porte ouvragée et le minaret de la Grande mosquée.


Mais ce qui étonne le plus ici, ce sont les maisons "trulli" en forme de termitières que l'on trouve partout dans le village.


Les maisons coniques de Harran.


Construites de pierres et d'argile, elles sont tout à fait adaptées au climat de la région. Elles sont généralement intégrées dans un mur qui ceinture une cour et ne présentent aucune ouverture côté rue.


Les maisons coniques côté rue.


Cette architecture serait apparue au IIIe siècle av. J.-C. en réponse à la pénurie de bois qui existait à l'époque. Le pays étant par ailleurs riche en pierres et en briques, grâce aux ruines environnantes, les gens se sont mis à construire ce style d'habitation. Uniques en Turquie, on les rencontre également dans le Nord de la Syrie et dans le Sud de l'Italie (région des Pouilles).


Les maisons coniques côté cour.


Ces constructions servent-elles de lieu d'habitation encore aujourd'hui ? Il semblerait que non. Certaines sont utilisées pour entreposer machine à laver et autres appareils ménagers, et d'autres, pour abriter les animaux (volailles, bovins).


Les bovins à l'abri du soleil sous les abris coniques.


Dans l'une d'entre elles, on peut même prendre un verre, c'est l'annexe du café du château ! La température n'est guère plus basse qu'à l'extérieur mais au moins, on est à l'ombre. Alors que je m'apprête à commander des boissons fraîches pour Ibrahim et moi-même, le cafetier s'empresse de m'affubler d'un chèche qu'il espère me vendre. Bon, va pour la photo...


Mon jeune guide Ibrahim et le cafetier à l'intérieur d'une maison conique.


En général, les gens préfèrent loger dans les bâtiments rectangulaires à toit plat, plus facile à aménager. A l'intérieur, on y trouve une pièce climatisée qui permet d'échapper à la grosse chaleur du milieu de journée.


La cour d'une maison.


Au milieu de la cour trône souvent un taht, sorte de lit surélevé. C'est là que la famille, parents et enfants, passe la nuit.


Le lit surélevé devant la maison d'habitation.


On y installe quelques tapis pour profiter ainsi d'une nuit au grand air, ce qui est toujours préférable à la chaleur étouffante des maisons. Outre le confort relatif (j'ai testé une fois), cela suppose se coucher et se lever comme le soleil...


Le lit surélevé et les tapis pour le soir.


Alors, Harran est-il un village hors du temps ? Non, si l'on considère la modernité de l'équipement de certaines maisons (air climatisé, appareils ménagers, télévision par satellite... etc.). Oui, si l'on considère les rues de terre battue et ces fameuses maisons coniques en terre glaise. Cela donne au visiteur l'impression d'être revenu, l'espace d'un instant, 2000 ans en arrière, ce qui ne sera pas pour lui déplaire...

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11 octobre 2009 7 11 /10 /octobre /2009 17:00


La ville de Şanlıurfa (Urfa la Glorieuse), plus simplement appelée Urfa, n'est autre que l'ancienne Edesse où, selon la légende, Adam et Eve auraient séjourné. Elle est également associée à Ur où, selon la Bible, le prophète Abraham aurait vu le jour. C'est l'un des plus importants sites religieux et historiques de Turquie.


La carte de la Turquie avec Şanlıurfa en point de mire.


Dressée sur une colline, l'imposante citadelle domine la ville. La date de sa construction est incertaine mais on sait qu'elle a été occupée dès l'époque hellénistique par les troupes d'Alexandre le Grand venues de Macédoine (IVe siècle av. J.-C.). Elle sera remaniée plusieurs fois au fil des siècles, notamment par les Croisés (début XIIe siècle) qui feront de la ville, la capitale d'une principauté latine qui subsistera jusqu'en 1144 : le comté d'Edesse.


La citadelle d'Urfa perchée sur une colline.


Mis à part les remparts, il ne reste presque rien de la forteresse. Seules deux colonnes ont résisté au temps et aux vicissitudes de l'histoire. De là, la vue sur Urfa et les environs est spectaculaire.


La vue sur la ville depuis la forteresse.


Juste en contrebas, au pied de l'escalier menant au château, se trouve le sanctuaire du Dergah, un ensemble de mosquées et de jardins dédié à Abraham, prophète majeur chez les musulmans.


La Mosquée Mevlid-i Halil de style ottoman (1986).


La Mosquée Mevlid-i Halil, construite récemment, marque l'emplacement d'un site exceptionnel. C'est ici, dans une grotte creusée dans la falaise, que serait né le prophète Abraham. Chaque année, des milliers de pèlerins viennent se recueillir à cet endroit. Pour accéder à la grotte, il faut traverser la cour à colonnades de la mosquée et passer sous une des arcades. Une seule entrée mais deux portes : une pour les femmes et une autre pour les hommes.


La cour à colonnades et les deux portes d'entrée de la grotte (sous l'arcade de droite).


Une fois la porte franchie, un porche placé très bas oblige les pèlerins à s'incliner. On accède alors au saint des saints, la grotte d'Abraham. A travers la vitre qui en condamne l'accès, on peut voir une petite salle entourée de bancs de pierre. Une source, aux vertus soi-disant curatives, coule à flots depuis la cavité. Les pèlerins, accroupis autour de l'eau précieuse, s'en aspergent le visage et en boivent de grandes lampées.


La grotte d'Abraham.


La légende raconte qu'Abraham naquit dans cette grotte et qu'il y vécut caché jusqu'à l'âge de sept ans pour échapper aux soldats du roi Nemrod (ce dernier avait décidé de faire tuer tous les nouveau-nés après qu'un songe lui eut révélé que l'un d'entre eux deviendrait plus puissant que lui). Parvenu à l'âge adulte, Abraham lutta contre l'idolâtrie. Il se mit à détruire les représentations des dieux païens vénérés par les mésopotamiens.


Un roi mésopotamien devant trois divinités : Ishtar (Vénus), Shamash (Soleil) et Sîn (Lune), musée d'Urfa (stèle du XIe siècle av. J.-C.).


Trois statuettes d'Ishtar, déesse de l'Amour et de la Fertilité, musée d'Urfa.


Pour le punir de cette offense, le roi Nemrod le fit arrêter et immoler sur un bûcher. Mais Dieu transforma le feu en eau et les braises en poissons. Abraham fut projeté en l'air depuis la colline où se dresse aujourd'hui la forteresse et retomba sain et sauf, à quelques centaines de mètres de là, sur un lit de roses. La mosquée Halilur Rahman marque l'emplacement de cet endroit sacré.


La mosquée Halilur Rahman, en fait, une ancienne église byzantine (début XIIIe siècle).


Les jardins, aménagés en roseraie, ainsi que deux plans d'eau rectangulaires peuplés de carpes, se veulent la représentation symbolique de cette légende.


L'un des deux plans d'eau et le mur à arcades de la mosquée Rızvaniye Vakfı (1716).


Les carpes sont considérées comme sacrées et la croyance populaire veut que quiconque en attrape une devienne immédiatement aveugle...


Le jeu favori des pèlerins et autres visiteurs : nourrir les carpes.


Non loin de là, dans un parc du sud-ouest de la ville, se trouve un autre site religieux d'importance : la grotte du prophète Job.


Le pavillon abritant la grotte de Job.


Autre prophète, autre légende... Celle-ci raconte qu'Eyyüp (Job), un homme pieux et fortuné, se vit accablé de malheur par Iblis (Satan) qui voulait ainsi ébranler sa foi en Dieu. Il perdit ses enfants, sa santé et sa richesse (d'où l'expression "être pauvre comme Job"). Il se retira alors dans une grotte où il attendit patiemment en priant Dieu.


La grotte de Job.


Au bout de sept ans, il retrouva ses enfants, ses biens et recouvra la santé grâce à une source qu'il fit jaillir en frappant le sol du talon. On peut aujourd'hui voir le puits abritant cette source à quelques pas de la grotte.


Le puits marquant l'emplacement de la source de Job.


Les pèlerins qui visitent ce site unique, viennent se recueillir et prier dans la grotte ou la mosquée annexe en espérant acquérir un peu de la patience du prophète Job et peut-être retrouver santé et richesse...

Les légendes entourant Urfa sont nombreuses et fascinantes mais on peut se demander si elles sont fondées. Alors, mythe ou réalité ? Urfa est-elle vraiment le lieu de l'antique Ur qui a vu naître le prophète Abraham et donc le monothéisme dont sont issues nos religions juive, chrétienne et musulmane ? Certains pensent que non, arguant que la ville d'Ur est située beaucoup plus au Sud (dans le Sud de l'Iraq actuel). D'autres remettent en question l'existence même d'Abraham et pensent qu'il s'agit d'un mythe. Quoiqu'il en soit, on ne peut mettre en doute l'authenticité de la foi de ces pèlerins qui viennent par milliers chaque année prier à Urfa...

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4 octobre 2009 7 04 /10 /octobre /2009 22:52


Situé au coeur d'un parc national dans les montagnes du Taurus qui culminent à plus de 2000 mètres,  le Mont Nemrut (Nemrut Dağı) est à juste titre le site phare de la Turquie orientale. Mais j'ai bien failli ne jamais le voir... Vitesse excessive, virages à la corde et dépassements dangereux, le chauffeur du minibus qui nous emmène à Kâhta (ça ne s'invente pas) ne nous aura rien épargné. Quand je pense que mes proches s'inquiètent pour moi suite à l'attentat perpétré un mois plus tôt à Istanbul (le 9 juillet 2008), ils ne se doutent pas que je risque davantage sur les petites routes de l'arrière-pays...


La carte de la Turquie avec le parc national du Mont Nemrut en point de mire.


Je passe la nuit dans un petit hôtel juste à l'entrée du parc et le lendemain, je fais l'ascension à pied (2 heures). En arrivant sur le site de très bon matin (bien avant les premiers touristes), je peux profiter pleinement du lieu. La surprise est totale. Tout en haut, sur le sommet de la montagne, au milieu d'un paysage aride, se profile une tombe monumentale digne des Pharaons de l'ancienne Egypte. Il s'agit d'un gigantesque tumulus de forme pyramidale datant de l'époque préromaine.


Le Mont Nemrut et son sommet artificiel.


Les pierres concassées ont été entassées là pour former un monticule de 50 m de haut (et sans doute encore plus haut à l'époque). De chaque côté du tumulus, trois plateformes ont été aménagées, une à l'Est, une au Nord et une autre à l'Ouest. Sur chacune d'elles, on trouve des restes de temples ainsi que des statues colossales d'environ 8 mètres de haut.


Les statues colossales trônant devant le tumulus sur la plateforme Est.


Des séismes ont décapité les statues et les têtes gisent désormais sur le sol. Il est prévu de les replacer sur les corps mais en attendant, on s'est contenté de les redresser et de les caler avec des pierres. Elles restent néanmoins impressionnantes (entre 1,40 m et 2,50 m de haut).


Les têtes des statues gisant sur le sol.


Mais qui donc est enterré ici ? Quel personnage important a mérité que l'on érige une montagne pour lui ?

C'est un ingénieur allemand qui découvre le site par hasard en 1881 alors qu'il parcourt la région dans le but d'établir des voies de communication pour le compte des Ottomans. Il faudra attendre les années 1950 pour entreprendre des fouilles et percer enfin le mystère...


Antiochos Ier Commagène et Héraclès.


On sait aujourd'hui qu'il s'agit d'Antiochos Ier Commagène, un roi qui vécut au 1er siècle avant J.-C. Il régna sur un territoire riche et fertile d'une grande importance stratégique puisqu'à l'époque, il marquait la frontière Est de l'Empire romain et la frontière Ouest de l'Empire parthe.


Kartal, le faucon et Aslan, le lion.


Ce roi, quelque peu mégalomane, se prétendait l'égal des grands rois-dieux du passé. Pour son repos éternel, il lui fallait donc trouver un endroit à la hauteur de sa "grandeur". Et quel meilleur endroit que le sommet d'une montagne ?


Les restes d'un temple sur la plateforme Est dominant la montagne.


C'est ainsi qu'il ordonna la construction des temples et du tertre funéraire que l'on peut voir aujourd'hui. On peut d'ailleurs penser que sa tombe, ainsi que celle de certains membres de sa famille se trouvent toujours sous ces tonnes de pierres...


D'autres têtes colossales devant le tumulus sur la plateforme Ouest.


Il fit sculpter des statues de lui-même et des dieux ("sa famille", selon lui) et les fit installer au sommet du Mont Nemrut. Parmi les dieux représentés, on trouve Zeus (dieu du Ciel et maître des dieux), Héraclès (Hercule chez les Romains), Apollon (dieu de la Beauté, de la Lumière et des Arts), Tyché (divinité du Destin), Hermès (dieu du Commerce et des Voyages)... etc.


Les têtes de Zeus, Apollon et Kartal, le faucon.


Le visage d'Hermès.


Sur la plateforme Ouest, on trouve également des stèles de basalte provenant d'un temple aujourd'hui détruit. Elles représentent différents rois perses et grecs dont Antiochos se prétendait "l'héritier".


Une procession d'antiques rois perses et grecs.


Détail d'une stèle.


A quelques kilomètres de là, se trouve un autre tumulus (Karakuş Tümülüs). Lui aussi abriterait des tombes. Il est entouré de colonnes qui marquent l'emplacement d'anciens temples. Ces derniers ont disparu car les Romains en ont utilisé les pierres pour construire différents édifices, notamment un pont dont nous parlerons plus loin.


Les restes d'un temple avec au loin, le sommet artificiel du Mont Nemrut.


Tout comme au Mont Nemrut, on a élevé un pic artificiel de rocs concassés. Une inscription trouvée sur l'une des colonnes laisse à penser qu'il s'agit  de la sépulture de parents du roi Mithridate II (1er siècle av. J.-C).


Les deux colonnes (l'une coiffée d'un lion) devant le tumulus.


Une troisième colonne (surmontée d'un aigle) de l'autre côté du tumulus.


A dix kilomètres de là, juste à l'entrée de gorges creusées dans le calcaire, on peut admirer un magnifique pont romain en dos-d'âne.


La rivière Cendere et le pont de Chabina (IIe siècle).


Il a été construit avec les pierres taillées provenant des temples évoqués plus haut. Sur les quatre colonnes corinthiennes d'origine, trois sont encore debout.


Les colonnes corinthiennes du pont.


La magie de ces lieux est indéniable, en particulier le sommet du Mont Nemrut au petit matin. Le fait de se retrouver seul permet de mieux "s'approprier" le site et de mieux en ressentir l'atmosphère mystique. Et puis ces tumulus n'ont pas encore révélé tout leur mystère. Qui sait ce qu'on trouvera un jour sous ces tonnes de pierres ?

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27 septembre 2009 7 27 /09 /septembre /2009 23:30


La ville de Diyarbakır s'élève au nord de la plaine mésopotamienne, sur la rive droite du Tigre. La population à majorité kurde en a fait le bastion de son identité. Les violents affrontements qui ont opposé le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) et l'armée turque dans les années 80 ne sont plus d'actualité mais je me demande comment je vais y être accueilli...


La carte de la Turquie avec Diyarbakır en point de mire.


En arrivant à la Maison des Enseignants, je tombe sur un... Kurde qui me présente à ses amis... kurdes. Tout en jouant aux cartes, ils se renseignent sur mon identité et ma nationalité. Quand ils apprennent que je suis breton, le visage de l'un d'entre eux s'illumine.
"Vous, les Bretons, vous êtes comme nous, les Kurdes. Le gouvernement a tout fait pour faire disparaître votre culture, vos traditions et même votre langue et bien nous, les Kurdes, c'est pareil"*.
Quand je lui demande comment il sait tout ça (la Bretagne paraît si loin vu d'ici !), il me dit qu'il a fréquenté une Bretonne pendant quatre ans. Tout s'explique ! D'un coup, la Bretagne se rapproche de Diyarbakır et nous devenons amis...

* La loi du Tevhidi Tedrisat du 3 mars 1924 instaure l’éducation et l’apprentissage au moyen d'une seule et unique langue, en l'occurrence le turc.

Les remparts en basalte qui ceinturent la vieille ville sont impressionnants par leur taille (12 m de haut, de 3 à 5 m de large et 5,7 km de long). Des escaliers permettent d'accéder au chemin de ronde. On peut ainsi quasiment faire le tour de la vieille ville à condition de regarder où l'on met les pieds...


L'impressionnante muraille et son chemin de ronde.


Bâtis à l'époque romaine, reconstruits par les Byzantins (VIe siècle) et renforcés par les Seldjoukides-Artukides (fin XIe siècle), ils n'ont pourtant pas résisté aux attaques des tribus arabes vers 638, ni aux hordes de Mongols au XIIIe siècle, pas plus qu'aux armées de Tamerlan (un guerrier turco-mongol) au XIVe siècle.


Les remparts de la vieille ville.


Ils comprennent quatre portes et quatre vingt deux tours et bastions. Sur la tour Nur Burcu, on trouve une inscription et des bas-reliefs très bien conservés, notamment un aigle à deux têtes, symbole du pouvoir chez les Seldjoukides, ainsi que des créatures fantastiques.


Détail de la tour Nur Burcu (XIe siècle).


Plus loin, sur la tour des Sept Frères (Yedi Kardeş Burcu), on retrouve  l'aigle à deux têtes avec cette fois-ci deux magnifiques lions ailés.


La tour des Sept Frères (1208).


Détail de la tour des Sept Frères : un lion ailé.


A l'intérieur des remparts, on découvre de superbes bâtiments restaurés avec goût. C'est le cas du caravansérail Hasan Paşa aujourd'hui aménagé en terrasses de café et restaurants. L'alternance de pierres noires de basalte et de pierres blanches d'Urfa est une réussite.


Le caravansérail Hasan Paşa.


On retrouve cette alternance de couleur dans les arcades du caravansérail Deliller. Celui-ci a été construit entre 1521 et 1527 pour répondre aux besoins des marchands et des pèlerins voyageant vers les villes saintes de La Mecque et Médine ainsi que vers les pays situés sur la Route de la Soie comme la Syrie, l'Iran et l'Inde.


Le caravansérail Deliller aujourd'hui transformé en hôtel de luxe.


Autrefois, Diyarbakır comptait une communauté chrétienne importante, notamment des Arméniens et des Syriaques. La plupart ont péri ou quitté la ville lors du génocide de 1915 ou plus récemment à cause d'extrémistes islamiques. Malgré tout, quelques églises subsistent encore. C'est le cas de l'Eglise de la Vierge Marie (Meryem Ana Kilisesi). L'accès se fait par une cour dont l'entrée est surveillée par un gardien qui habite la maison jouxtant l'édifice avec sa famille. D'ailleurs aujourd'hui, tout le monde est réuni pour un repas de famille à l'ombre... du porche de l'église !


La façade de l'Eglise de la Vierge Marie.


Un des jeunes garçons va chercher la clé et m'ouvre la porte.


La porte d'entrée de l'église surmontée d'une croix pattée.


Je découvre alors une salle circulaire couronné d'un dôme tout en brique. C'est ici que les derniers membres de la communauté chrétienne syriaque viennent célébrer leurs offices.


La nef de l'Eglise de la Vierge Marie.


L'autel de style byzantin possède quelques belles icônes. Mais alors que je prends quelques clichés, le garçon qui me surveille du coin de l'oeil s'écrie "No photos ! No photos !" Il faut dire qu'avec les intimidations dont ils sont victimes, les minorités chrétiennes sont sur leurs gardes et mon hôte a visiblement eu des consignes...


Les précieuses icônes de l'autel.


L'autre église chrétienne toujours en activité à Diyarbakır est l'Eglise Chaldéenne de Mar Petyun (Keldani Kilisesi) dont l'origine remonterait au IVe siècle. Elle est aujourd'hui fréquentée par une trentaine de familles chaldéennes, des catholiques de rite oriental dont le Patriarcat est à Bagdad.


Les élégantes arches de l'église chaldéenne de Mar Petyun (XVIIe siècle).


Là aussi, je suis le seul visiteur mais cette fois-ci mon guide, un homme d'une cinquantaine d'années, est bien plus amical. Il m'autorise à faire toutes les photos que je souhaite.


Le choeur avec à droite, l'icône de la Vierge du Signe, figure très vénérée chez les chrétiens d'Orient.


Sur l'autel, le tabernacle avec les scènes de la crucifixion et de la résurrection.


En quittant Diyarbakır, je me rends compte qu'il n'y a pas que la minorité kurde qui se sent menacée. Les minorités chrétiennes (arménienne, syriaque, chaldéenne) également. Même si les esprits se sont calmés ces dernières années, il n'en reste pas moins que les tensions demeurent et que la méfiance, chez les uns et les autres, reste de rigueur.

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20 septembre 2009 7 20 /09 /septembre /2009 23:26


Mardin se situe dans le Sud-Est de la Turquie à proximité de la frontière syrienne et irakienne. Tout au long de son histoire, la ville a accueilli des populations d'origines ethniques et religieuses diverses telles que des chrétiens syriaques, des juifs, des yezidis (minorité religieuse de langue kurde), des Arabes, des Kurdes, des Arméniens et des Turkmènes. Aujourd'hui encore, on y parle le kurde et l'arabe, parfois l'arménien et certains offices religieux chrétiens sont célébrés en syriaque, un ancien dialecte araméen, la langue du Christ !


La carte de la Turquie avec Mardin en point de mire.


Située à 1300 mètres d'altitude, la ville bénéficie d'une situation exceptionnelle. Ses maisons couleur miel s'étendent sur les flancs d'une colline au pied d'une ancienne citadelle dont les remparts se fondent merveilleusement avec l'ocre de la roche.


Mardin et son ancienne citadelle (ses vestiges, situés en zone militaire, ne se visitent pas).



Parcourir la rue principale qui traverse la vieille ville de part en part permet déjà de voir quelques bâtiments intéressants. Tout d'abord, l'ancien patriarcat syriaque catholique, construit à la fin du XIXe siècle, qui abrite aujourd'hui le musée de la ville.


Les bâtiments de l'ancien patriarcat syriaque catholique (1895).


Ensuite, on découvre un caravansérail du XVIIe siècle, superbement restauré, où loge désormais le bureau de poste.


Le caravansérail (XVIIe siècle).


Une des fenêtres ouvragées du caravansérail.


Le travail en dentelle de la pierre.


Plus loin, toujours dans la rue principale, on peut admirer une maison remarquable (Şahkulubey Konaği) dont les bâtiments, construits autour d'une cour intérieure, sont décorés de multiples arcades sculptées.


Les arcades sculptées d'une maison ancienne.


Alors que je prends un cliché de la bâtisse, un vieil homme s'adresse à moi. Il insiste pour que je le prenne en photo. Espère-t-il un peu d'argent en retour ? Même pas. Il esquisse un léger sourire et s'en va comme il est venu... Rencontre très furtive mais je suis content d'avoir pu capturer son regard.


Le portrait d'un habitant de Mardin.


Arrivé à hauteur de la Grande Mosquée (Ulu Cami), on jouit d'un superbe panorama sur le vaste plateau désertique de Mésopotamie qui s'étend jusqu'à la Syrie dont la frontière n'est qu'à une vingtaine de kilomètres.


Le minaret sculpté de la Grande Mosquée (XIXe siècle) et l'aride plateau mésopotamien.


Deux rues plus loin, une autre mosquée (Şehidiye Camii) présente une architecture tout à fait intéressante : une grande salle voûtée du XIVe siècle, très dépouillée, dont la base repose sur de larges piliers.


La salle de prière de la mosquée Şehidiye (XIVe siècle).


Assis dans un coin sombre de la salle de prière, un fidèle est penché sur le Coran. Il psalmodie sourate après sourate tout en se balançant d'avant en arrière. J'assiste à la scène de loin.


Un musulman en pleine dévotion.


Il fait bon également se balader dans le dédale des petites ruelles pavées qui courent de part et d'autre de la rue principale. On emprunte des escaliers et des passages sous les maisons appelés “abbara” par la population locale.


Un passage sous une maison dans une ruelle pittoresque.


On y croise des ânes encore fréquemment utilisés pour transporter toutes sortes de marchandises.


Un âne employé sur un chantier de restauration.


Près du centre, on trouve le bazar qui nous rappelle le commerce florissant de la ville du temps où Mardin était une étape importante sur la Route de la Soie. On y venait justement pour la soie, très réputée. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, la ville comptait environ trois mille métiers à tisser !


Quelques échoppes du bazar sous les arcades.


Dans la partie haute de la ville, au pied de la citadelle, on peut voir une  ancienne école coranique (Sultan Isa Medresesi). Construite à la fin du XIVe siècle par les Artukides, une dynastie turcomane établie en Syrie et en Arménie dès le XIe siècle, elle possède un toit en terrasse et deux dômes particulièrement bien travaillés.


L'ancienne école coranique Sultan Isa Medresesi (1385).


Dans la partie basse de la ville se trouve une autre école coranique (Kasımiye Medresesi), également d'époque a
rtukide.



L'école coranique Kasımiye et son portail monumental (1469).


Les bâtiments sont organisés autour d'une cour intérieure agrémentée d'un bassin.


La cour intérieure de l'école coranique.


Ce complexe à deux étages abrite une mosquée, une tombe et une vingtaine de pièces destinées à accueillir les étudiants.


L'école coranique Kasımiye à la nuit tombante.


La visite terminée, je sors en me demandant comment rejoindre mon hôtel à trois kilomètres de là. Il n'y a pas de minibus et je suis fatigué d'avoir marché toute la journée. Et là, le miracle. Un jeune homme, en visite lui aussi, me demande de quel pays je viens et où je loge. J'ai à peine le temps de lui répondre qu'une voiture avec chauffeur s'arrête à ma hauteur. Sans comprendre, je monte dans le véhicule et en quelques minutes, je suis devant mon hôtel. Mieux que le téléphone arabe !

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13 septembre 2009 7 13 /09 /septembre /2009 17:32


Le monastère Mor Gabriel (Deyrul Umur Manastırı) se situe sur un plateau désertique près de la frontière syrienne et irakienne. Lorsque je m'y rends en ce jeudi 31 juillet 2008, la chaleur y est caniculaire. Je porte mon gros sac à dos sur les épaules car il me faudra revenir vers Midyat dans l'après-midi avant de rejoindre Mardin plus à l'Ouest avant la tombée de la nuit.


La carte de la Turquie avec le Monastère de Mor Gabriel en point de mire.


Le minibus me laisse à un carrefour à 2.5 km du monastère. J'aimerais tenter ma chance en auto-stop mais je dois me rendre à l'évidence, la route est à l'image du paysage... déserte ! Plutôt que d'attendre un improbable véhicule en plein soleil, je décide de marcher. Bientôt, je croise un troupeau de chèvres suivi de leurs bergères, une image presque biblique dans ce paysage d'oliviers...


Le troupeau de chèvres et une mule bien chargée...


Les trois bergères rencontrées sur la route du monastère.


Je souffre de la chaleur et sue à grosses gouttes sous le poids du sac à dos mais le monastère est bientôt en vue. De loin, avec ses hauts murs, on dirait une forteresse. Il est vrai que ces dernières années, la communauté chrétienne vivant dans la région a souvent été la cible d'intimidations à la fois de la part du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) et de fanatiques islamiques, d'où certaines précautions. Ainsi, chaque soir, de lourdes portes en fer en ferment l'accès dès le coucher du soleil.


La porte d'entrée monumentale du monastère ornée d'une croix pattée et d'inscriptions en syriaque.


La première cour, entourée de murs à balustrades, de portes et de fenêtres sculptées, donne un aperçu de sa grandeur passée. Le grès jaune, omniprésent dans l'architecture de l'édifice, donne une belle unité à l'ensemble.


Les bâtiments monastiques vus de la première cour.


Nous franchissons une deuxième porte monumentale au décor d'une grande finesse.


La seconde porte monumentale ornée de motifs géométriques et floraux.


Nous accédons alors au cloître, la partie la plus ancienne du monastère.


L'ancien jardin du cloître.


Fondé en 397, le monastère a été considérablement remanié au fil des siècles et plusieurs ouvriers travaillent encore à sa restauration. Aujourd'hui, il sert de résidence à l'archevêque de l'église syriaque orthodoxe  du Tür Abdin (le plateau environnant). Il abrite également une petite communauté de sept soeurs et quatre moines dont l'objectif est de perpétuer la tradition chrétienne dans la région en pourvoyant à la formation et à l'ordination de moines venant des environs, d'où la présence d'étudiants dans ses murs.


Les arcades du cloître.


L'église est étonnante. C'est une nef unique dont la voûte de brique est tout à fait remarquable. Contrairement au plan traditionnel, son axe est perpendiculaire au choeur. 


La mononef de l'église (l'entrée est à droite et le choeur à gauche).


L'autel, abrité dans une niche que l'on peut fermer par un rideau, se distingue par son riche décor qui tranche avec la sobriété du reste de l'édifice.


L'autel orné de motifs floraux, de croix pattées et d'une inscription en syriaque.


Au-dessus de l'autel, des fresques très anciennes couvrent la totalité de la voûte. Malheureusement, la pénombre est telle que les photos ne donnent rien. Devant l'autel, sur le lutrin, une bible dont la couverture en étain n'est pas sans rappeler celle vue dans la petite église syriaque orthodoxe de Midyat.


Les douze apôtres et la scène de la crucifixion.


Sur les murs, on peut voir des tentures aux couleurs vives représentant des évêques et des saints particulièrement vénérés chez les chrétiens orthodoxes.


Samuel et l'évêque saint Carpe.


Saint Georges et les Quarante martyrs de Sébaste.



Dans une autre partie du monastère, on peut admirer une coupole vieille de plus de 1500 ans. Elle a été construite à la demande de Théodora, épouse de l'empereur Justinien, et représente une prouesse technique remarquable pour l'époque.


L'immense coupole bâtie par Théodora (VIe siècle).


Dans une des cryptes dont la construction remonte probablement à la fondation du monastère, un petit renflement dans le sol témoigne de la présence d'une tombe, celle de Saint Gabriel. Il aurait été moine dans ce même monastère au VIIIe siècle. On prétend que le sable qui entoure sa tombe aurait des vertus curatives...


La bien modeste tombe de Saint Gabriel.


La visite s'achève. Dehors, il règne toujours une chaleur caniculaire. Heureusement, pour le retour vers Midyat, j'ai plus de chance. Un couple d'Italiens rencontré au monastère propose de m'y emmener en voiture. Cela m'épargne le trajet à pied jusqu'à la route principale avec mon sac sur le dos et m'évite d'attendre un hypothétique minibus sous un soleil de plomb... Ce soir, je serai à Mardin !

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6 septembre 2009 7 06 /09 /septembre /2009 17:30


Située dans le Sud de la Turquie à proximité de la frontière syrienne et irakienne, la ville de Midyat est au coeur d'une région quasi-désertique. La chaleur y est accablante l'été et je regrette déjà le lac de Van et ses montagnes...


La carte de la Turquie avec Midyat en point de mire.


Le site n'a rien de particulier mais la vieille ville avec ses ruelles étroites bordées de maisons en grès couleur miel mérite néanmoins une visite.

 

Les toits plats de la vieille ville de Midyat.


Un jeune garçon, désireux de se faire un peu d'argent de poche, m'invite à le suivre dans le dédale des rues. Je découvre tour à tour une vieille église, une ancienne maison bourgeoise et un caravansérail. Le contraste entre l'ocre de la pierre et le bleu du ciel est saisissant.


Le Gelüşke Hanı, caravansérail magnifiquement restauré.


La maison bourgeoise, quant à elle, a été transformée en musée et vaut vraiment le coup d'oeil. De la cour intérieure, un escalier ouvragé mène aux appartements luxueux des premier, second et troisième étages.

La maison bourgeoise Konuk Evi vue de la cour intérieure.


Le balcon et les fenêtres sculptés avec finesse montrent le goût de l'ancien propriétaire pour les belles choses et surtout l'importance de sa bourse !

Détail de la façade de la maison.


Midyat est au centre d'une enclave chrétienne vieille de plusieurs siècles. La ville compte neuf églises syriaques orthodoxes (croyance en la nature exclusivement divine du Christ) dont quatre assurent encore un office régulier. Certaines églises ont été abandonnées après l'émigration d'une grande partie de la population chrétienne suite aux persécutions subies au début du XXe siècle (génocide de 1915 notamment) et de ces dernières décennies. Rien d'étonnant à ce qu'on trouve désormais leurs églises protégées par de hauts murs.


L'entrée d'une église syriaque orthodoxe.


Même encore aujourd'hui, les chrétiens de Midyat (seulement 10% de la population actuelle contre 80% dans les années 60) ne sont pas toujours bien acceptés par la population locale, aussi les églises sont-elles gardées de jour comme de nuit et leur entrée unique surveillée. D'ailleurs, je sens une certaine méfiance lorsque je pénètre dans la cour intérieure et je dois attendre qu'un adulte aille chercher la clé pour ouvrir la porte de l'église.

Détail du portail d'entrée avec une croix tréflée et une inscription en syriaque, un très ancien dialecte araméen utilisé par les chrétiens de Haute-Mésopotamie.


Je serai accompagné pendant tout le temps de la visite et c'est non sans réticence qu'on me laissera prendre des photos.

La nef de l'église et ses voûtes en plein cintre.


Comme je marche vers le choeur, j'admire la riche décoration de l'abside qui contraste avec la sobriété de l'architecture de l'édifice.


L'autel de l'abside sous la voûte céleste représentée par des étoiles d'or.

Au centre de l'autel, la croix pattée de l'église orthodoxe syriaque.


Sur le lutrin, une bible dont la couverture en étain attire mon attention.


Les douze apôtres avec au centre la Cène et la Résurrection du Christ.


Sur les murs, des fresques et des tentures égayent les murs blancs tandis que les niches du transept sont elles aussi richement décorées.


Les fonds baptismaux sous une voûte du transept ornée de croix pattées.



Sur un des piliers de la nef, une petite niche abrite une icône minuscule mais remarquable par la qualité des détails.




L'icône de la Vierge à l'enfant.



Je glisse une pièce dans la main de l'enfant qui m'aura accompagné cet après-midi-là et lui sais gré de m'avoir fait découvrir quelques coins et recoins de la vieille ville de Midyat. Rien d'extraordinaire, certes, mais j'ai toujours été sensible aux trésors cachés et cette icône de la Vierge à l'enfant dans cette église protégée par de hauts murs de pierre en fait partie...

 

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24 mai 2009 7 24 /05 /mai /2009 22:51


Dans le minibus qui m'emmène de Batman à Hasankeyf, je fais la connaissance de Mohamed, un jeune étudiant qui me prend en sympathie au point de m'offrir le trajet. Je refuse poliment mais il insiste. Il dit qu'aujourd'hui est un jour important pour les musulmans car c'est le jour où, selon la tradition musulmane, l'archange Gabriel (Jibril) est apparu à Mahomet dans la grotte de Hira (près de La Mecque) et lui a transmis la révélation, la parole de Dieu. C'est donc jour de fête et par ce geste, il rend hommage à son Prophète.


La carte de la Turquie avec Hasankeyf en point de mire.


Situé à quatre heures de route du lac de Van et à 80 km de la frontière syrienne, Hasankeyf est mon coup de coeur de l'Anatolie orientale. C'est un adorable village accroché à une falaise, couleur de miel, qui surplombe le Tigre.


Le village d'Hasankeyf.


Autrefois, un pont de pierre (Eski Köprüsü) permettait de franchir le fleuve et de rejoindre la ville, étape importante de la route de la Soie entre le XIe et le XIIIsiècle. Construit par Fakreddine Karaaslan, seigneur des Artukides (une dynastie turcomane), le pont possédait la plus grande arche jamais construite au Moyen Age (40 mètres). On pense qu'elle était en bois et qu'elle était retirée pour couper l'accès de la ville en cas d'attaque ennemie.


Les piles brisées du vieux pont qui enjambait le Tigre (XIIe siècle).


Depuis le vieux pont, on apprécie encore mieux la falaise de calcaire monumentale qui se dresse verticalement au-dessus du Tigre. Tout en haut, se trouve une citadelle dont nous reparlerons plus loin.


La dernière arche du pont encore debout et la citadelle au sommet de l'impressionnante falaise.


Au pied de la falaise, on a construit une dizaine de paillottes qui tiennent lieu de restaurants. Les tables et les assises, constituées de coussins et de tapis, sont disposées sur des terrasses métalliques montées sur pilotis. Certaines ont les pieds dans l'eau...


Une des terrasses sur pilotis au bord du Tigre.


J'ai pour mission de retrouver Ömer, un ami de Nathalie, et de lui donner des photos de tous les deux prises il y a un an à ce même endroit. Je le retrouve facilement. Il est là, sous sa paillote. Ömer ne parle pas anglais mais quand il voit les photos de Nathalie, l'émotion se lit sur son visage. Il pose la main sur son coeur et exprime avec moult gestes toute l'affection qu'il lui porte.


Ömer sous sa paillotte.


En tant qu'étranger et ami de Nathalie de surcroît, j'ai droit à tous les égards. Il me fait asseoir à l'une de ses terrasses au bord de l'eau et me prépare un merveilleux déjeuner. Au menu, du poisson grillé, tout droit venu du Tigre, un vrai régal !

Ensuite, il me guide vers une grotte, toute proche, à l'intérieur de laquelle un café y a été aménagé sur trois niveaux. Les étages sont reliés entre eux par des escaliers eux-mêmes taillés dans la roche. L'ambiance qui y règne est extraordinaire, d'autant que nous sommes les seuls clients...


Un café troglodytique aménagé dans la falaise.


Au fond, coule une cascade artificielle qui apporte une certaine fraîcheur. Rien de tel pour échapper à la chaleur suffocante du dehors. On y passera un bon moment à boire du thé et à échanger malgré la barrière de la langue.

Une fois les heures chaudes passées, je me dirige vers la citadelle. Pour y accéder, il faut s'enfoncer dans un défilé rocheux dont les parois sont trouées de grottes.


Les habitations troglodytiques au dessus du village d'Hasankeyf.


Rares sont celles qui sont encore habitées car dans les années 1970, les habitants ont été contraints par le gouvernement turc de les abandonner et de venir s’installer plus bas, dans la vallée, près du vieux pont.

Je rencontre deux garçons qui habitent encore une de ces habitations traditionnelles avec leur famille. Je leur montre quelques tours de cartes mais ils en connaissent plus que moi !


Murat (10 ans) et son frère Ahmet (12 ans) dans leur habitation troglodytique.


Plus loin, je trouve d'autres grottes encore utilisées aujourd'hui.


Quelques cavités aménagées en café.


Mais la plupart est désormais laissée à l'abandon. Et la nature ayant repris ses droits, on a parfois l'impression de déambuler dans une cité fantôme...


Une ancienne habitation aux formes étranges...


Nous continuons le chemin taillé dans la roche et arrivons bientôt à la citadelle. Nous passons une première porte monumentale, en rénovation, puis une deuxième, plus petite.


L'entrée de la citadelle et la vallée du Tigre.


Construite par les Ayyoubides au XIIIe siècle et remaniée par de nombreux chefs kurdes au cours des siècles, la citadelle bénéficiait d'une situation stratégique facile à défendre.


La citadelle dominant la vallée du Tigre.


Au milieu des ruines, on trouve quelques vestiges intéressants, notamment ceux de la Grande Mosquée (Ulu Cami) du XIVe siècle et du Grand Palais (Büyük Saray) du XVe siècle.


Les ruines du Grand Palais (XVe siècle).


On y trouve également une petite mosquée, probablement une ancienne église byzantine.


La petite mosquée (XIVe siècle).


Derrière la mosquée se trouve un petit cimetière où les tombes musulmanes offrent leurs magnifiques entrelacs à la douce lumière du soir.


Les pierres tombales du cimetière musulman.


Alors que le soleil se couche, je prends le temps de regarder cette magnifique vallée et de la photographier avec mes yeux.


La citadelle, le village d'Hasankeyf avec son pont moderne et la vallée du Tigre.


La légende raconte qu'un prisonnier arabe du nom de Hasan, qui allait être mis à mort, demanda une dernière faveur au seigneur des lieux. Il souhaitait monter une dernière fois sur son cheval bien aimé. Cette faveur lui fut accordée. Mais tandis qu'il faisait le tour de la cour de la forteresse, il prit de la vitesse et s'élança dans le vide avec son cheval. La chute de 150 mètres fut fatale au cheval mais le prisonnier en réchappa. Il put s’enfuir et tous les spectateurs s’exclamèrent alors : Hasan Keif (Hasan, comment...). Ce nom resta attaché à la forteresse.


La falaise et le Tigre au coucher du soleil.


On peut légitimement s'inquiéter du sort réservé à Hasankeyf dans les prochaines années. En effet, un projet de barrage menace de noyer le village sous les eaux (en tout, 75 villages sont concernés, soit 56 000 personnes). Si c'est le cas, la Turquie perdra un patrimoine historique et  archéologique de première importance. En effet, la ville est l’une des communautés chrétiennes les plus anciennes du monde oriental. Elle a aussi été la première ville d’Anatolie convertie à l’islam au VIIIsiècle. Des fouilles sont encore en cours et chaque année, on y fait des découvertes importantes.

Beaucoup de personnes en Turquie et ailleurs se mobilisent contre ce projet. Il existe un site français qui mène campagne contre la construction de ce barrage dont voici le lien :
http://www.sauvezhasankeyf.org/

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