Après avoir parcouru plus de 1 500 km en bus depuis Istanbul, j'aborde enfin la partie orientale de la Turquie.
La carte de la Turquie avec Erzurum en point de mire.
Dans le bus, un couple assis juste derrière moi m'offre du pestil, sorte de crêpe épicée au goût de caramel. Devant nous, défile un paysage de montagnes quasi-inhabitées : la steppe.
La route déroulant son ruban dans la steppe.
Située à 1945 mètres d'altitude sur un haut-plateau, la ville d'Erzurum se visite plutôt l'été. L'hiver, elle connaît des températures glaciales (-35 °C !) et des chutes de neige importantes. La station de ski, à quelques kilomètres de là, est ouverte neuf mois dans l'année, avis aux amateurs...
La ville d'Erzurum entourée de montagnes.
Avec plus de 40 000 étudiants, l'université d'Erzurum est l'une des plus importantes du pays. Les monuments historiques se concentrent de part et d'autre de la grande avenue qui traverse la ville d'Ouest en Est.
Un cireur de chaussures sur le trottoir de la grande avenue.
Je m'arrête à l'Ecole coranique Yakutiye (Yakutiye Medrese). Des deux minarets d'origine, seules subsistent la base de l'un et la partie inférieure de l'autre, mais la façade de l'édifice vaut néanmoins le coup d'oeil.
L'école coranique Yakutiye (début XIVe siècle).
Ce sont les Mongols qui l'ont érigée en 1310, mais l'influence des Turcs seldjoukides, leurs prédécesseurs, se remarque dans l'architecture, notamment au niveau du portail et de sa décoration.
Le portail de l'Ecole coranique Yakutiye.
Détail du portail avec l'aigle seldjoukide, l'arbre de vie et deux lions.
L'école coranique abrite désormais le Musée d'Ethnographie et d'Arts turco-islamiques. Les vitrines sont parfois mal éclairées et les objets exposés pas toujours mis en valeur, mais j'y trouverai néanmoins quelques trésors à mon goût.
Une coiffe d'apparat (XIXe siècle).
La Khomsa ou main de Fatima, symbole de protection.
Plus loin, se trouve l'Ecole coranique aux Minarets Jumeaux (Çifte Minareli Medrese), plus ancienne puisqu'elle date du XIIIe siècle. Bel édifice, même si les minarets, là aussi, ont subi quelques dommages dus aux vicissitudes de l'histoire.
L'Ecole coranique aux Minarets Jumeaux (milieu XIIIe siècle).
C'est une construction imposante de style seldjoukide.
L'un des deux minarets en brique décorés de faïence bleue.
La cour principale avec ses quatre grandes niches et sa double colonnade.
Au fond de la cour, on pénètre dans une petite salle voûtée très sombre qui abrite le mausolée de Huand Hatun, fondatrice de l'école coranique. L'accès est libre, il suffit de se déchausser à l'entrée.
La tombe de Huand Hatun, recouverte d'un linceul vert (couleur de l'islam). Au-dessus, une tenture représentant trois vues de La Mecque.
Juste à côté de l'école coranique se trouve la grande mosquée (Ulu Cami). L'édifice du XIIe siècle est malheureusement fermé au public pour cause de restauration. Je poursuis donc mon chemin jusqu'aux Trois Tombes (Üç Kümbetler) situées dans un petit parc derrière l'école coranique, un peu à l'écart de l'axe principal. Elles sont vraiment jolies, particulièrement au coucher du soleil.
La tombe octogonale attribuée à Emir Saltuk (début XIIe siècle), l'un des fondateurs de l'empire Seldjoukide, et deux tombes non identifiées (fin XIIIe siècle ou début XIVe siècle).
Le lendemain, je visite la citadelle (Kale), construite sur une petite colline au Ve siècle par l'empereur Théodose.
Le mur d'enceinte de la citadelle.
L'enceinte de la citadelle ne renferme rien d'extraordinaire, à part quelques anciens canons. A l'extrémité, se trouve un ancien minaret qui a servi de tour de guet à une époque avant de faire office de tour d'horloge.
La cour intérieure de la citadelle et l'ancien minaret (XIIe siècle).
Depuis son sommet, on a une vue d'ensemble sur la ville et les montagnes environnantes.
L'enceinte du château et sa petite mosquée (XIIe siècle).
Juste en contrebas, côté Nord, on distingue un quartier entier de bidonvilles. La misère est là, à deux pas du centre-ville et de ses commerces.
Alors que je continue ma balade, j'entends un coup de klaxon. Tiens donc, voilà qu'apparaît le 4x4 de la famille charentaise ! Rencontrée une première fois à Divriği puis croisée au Monastère de Sumela près de Trabzon, voilà que je la retrouve à Erzurum. Décidément, nous nous suivons !
Le midi, je vais manger une soupe dans un des nombreux restaurants du centre-ville. Les çorba sont très bonnes en Turquie et c'est quasiment les yeux fermés que je commande une işkembe çorbası. Seulement voilà, je découvre qu'il s'agit d'une soupe... aux tripes de mouton !
La fameuse soupe aux tripes...
Je n'aime pas du tout ! La seule vue des morceaux de tripes flottant dans le liquide blanchâtre m'écoeure mais la faim qui me tenaille l'estomac est la plus forte et je l'avale. Ce jour-là, j'apprendrai donc à mes dépens ce qu'est la işkembe çorbası et croyez-moi, je retiendrai le nom !
Heureusement, le dessert est bien meilleur : un kaymaklı kadayıf, sorte de gâteau de vermicelles à la pistache.
Le kaymaklı kadayıf, un vrai délice !
Dans les rues d'Erzurum, on rencontre beaucoup de femmes voilées de la tête aux pieds. Seule une petite partie de leur visage est visible. La ville se veut moderne mais les traditions sont bien ancrées et le Coran fait encore loi.
"O Prophète ! prescris à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants, d’abaisser un voile sur leur visage. Il sera la marque de leur vertu et un frein contre les propos des hommes. Dieu est indulgent et miséricordieux." (Le Coran - Traduit de l’arabe par Kasimirski - Edition GARNIER-FLAMMARION, Sourate XXXIII, verset 57)
Deux femmes venues se rafraîchir à la fontaine.
Le soir, alors que je me promène dans le jardin à thé du musée où l'on joue de la musique, des jeunes gens m'invitent à leur table pour boire un thé. J'accepte avec plaisir.
Yasin est professeur de philosophie, tandis que Salih et Vefa sont étudiants en deuxième année de Droit. Ils sont très curieux de savoir d'où je viens, comment je vis et combien je gagne (on me posera souvent la question en Turquie). La conversation se poursuit au restaurant où je leur paye un soda et un hamburger (rien à voir avec le hamburger que l'on connaît). A mon tour, je les interroge sur leur vie. Ils sont croyants et pratiquants Tous m'avouent qu'une fois mariés, ils imposeront le port du voile à leur femme. Pourquoi ?
"Parce que c'est la seule tenue décente pour une femme".
Ils ont du mal à concevoir que je sois autre chose que musulman et vont passer une bonne partie de la soirée à me convaincre du bien-fondé de leur religion.
"Tu es sympathique, tu pourrais faire un bon musulman, tu sais ?"
Yasin est le plus acharné.
"Allah est l'unique vérité !" m'assure-t-il.
Il lui vient alors une idée saugrenue. Il m'invite à répéter sur le champ, mot pour mot en arabe, une phrase, dont j'ignore le sens au moment où je la prononce, qui s'avérera être le chahada, l'acte de foi musulman ! En voici la traduction : "Je témoigne qu’il n’y a de vraie divinité que Dieu et que Mahomet est Son messager." Alors que je termine de prononcer la phrase, Yasin affiche un grand sourire de satisfaction...
Yasin et Salih (Vefa ne figurant pas sur la photo).
Je ne sais pas si ce jour-là, dans ce restaurant, assis devant un hamburger, je suis devenu musulman (à l'insu de mon plein gré, comme dirait l'autre), mais je dois avouer que la situation, sans offense aucune, m'a beaucoup amusé...