Harran est cité dans le livre de la Genèse. Abraham y aurait résidé quelques temps sur le chemin qui allait le conduire d'Ur (dans le Sud de l'Iraq actuel) au pays de Canaan, la Terre Promise. Situé au croisement de plusieurs routes caravanières menant en Syrie, c'était un important carrefour commercial.
La carte de la Turquie avec Harran en point de mire.
Aujourd'hui, c'est un village paisible de la plaine mésopotamienne transformée, ces dernières années, en une plaine fertile grâce à l'irrigation. On a fait venir l'eau de l'Euphrate (à une centaine de kilomètres) pour y cultiver le coton. Quand j'arrive en fin de matinée, la chaleur y est accablante (entre 45 et 50°C) et les habitants sont cloîtrés chez eux.
Harran au milieu des champs de coton.
L'étudiant rencontré dans le minibus pour Harran me présente à son jeune frère qui se propose de me servir de guide. J'accepte bien volontiers. Quand celui-ci me dit son nom, je souris. Ibrahim (Abraham), quelle coïncidence... Après une petite collation sur le seuil ombragé de leur maison, la visite commence par le château. Il est malheureusement en très mauvais état. Seules subsistent deux des quatre tours d'angle d'origine.
Une des tours d'angle polygonales du château (XIVe siècle).
Aucun panneau n'en interdit l'accès et malgré le danger évident d'effondrement, je décide de suivre mon jeune guide à travers les ruines...
Les fragiles arcades du château.
La citadelle aurait été construite à l'emplacement d'un temple dédié à Sîn (dieu de la Lune). Certains pensent que son culte s'est poursuivi dans une des salles du château. C'est ainsi que le polythéisme aurait perduré dans la région jusqu'au IXe siècle.
Les salles voûtées du château.
Entre temps, une religion monothéiste gagna du terrain : l'islam. Des mosquées furent construites un peu partout. La Grande Mosquée d'Harran serait la plus ancienne de toute l'Anatolie puisque édifiée dès le VIIIe siècle. Malheureusement, il n'en reste presque rien aujourd'hui.
Les ruines de la Grande Mosquée (VIIIe siècle).
On peut seulement voir un minaret carré, assez inhabituel en Turquie, ainsi qu'un porche d'entrée ouvragé.
La porte ouvragée et le minaret de la Grande mosquée.
Mais ce qui étonne le plus ici, ce sont les maisons "trulli" en forme de termitières que l'on trouve partout dans le village.
Les maisons coniques de Harran.
Construites de pierres et d'argile, elles sont tout à fait adaptées au climat de la région. Elles sont généralement intégrées dans un mur qui ceinture une cour et ne présentent aucune ouverture côté rue.
Les maisons coniques côté rue.
Cette architecture serait apparue au IIIe siècle av. J.-C. en réponse à la pénurie de bois qui existait à l'époque. Le pays étant par ailleurs riche en pierres et en briques, grâce aux ruines environnantes, les gens se sont mis à construire ce style d'habitation. Uniques en Turquie, on les rencontre également dans le Nord de la Syrie et dans le Sud de l'Italie (région des Pouilles).
Les maisons coniques côté cour.
Ces constructions servent-elles de lieu d'habitation encore aujourd'hui ? Il semblerait que non. Certaines sont utilisées pour entreposer machine à laver et autres appareils ménagers, et d'autres, pour abriter les animaux (volailles, bovins).
Les bovins à l'abri du soleil sous les abris coniques.
Dans l'une d'entre elles, on peut même prendre un verre, c'est l'annexe du café du château ! La température n'est guère plus basse qu'à l'extérieur mais au moins, on est à l'ombre. Alors que je m'apprête à commander des boissons fraîches pour Ibrahim et moi-même, le cafetier s'empresse de m'affubler d'un chèche qu'il espère me vendre. Bon, va pour la photo...
Mon jeune guide Ibrahim et le cafetier à l'intérieur d'une maison conique.
En général, les gens préfèrent loger dans les bâtiments rectangulaires à toit plat, plus facile à aménager. A l'intérieur, on y trouve une pièce climatisée qui permet d'échapper à la grosse chaleur du milieu de journée.
La cour d'une maison.
Au milieu de la cour trône souvent un taht, sorte de lit surélevé. C'est là que la famille, parents et enfants, passe la nuit.
Le lit surélevé devant la maison d'habitation.
On y installe quelques tapis pour profiter ainsi d'une nuit au grand air, ce qui est toujours préférable à la chaleur étouffante des maisons. Outre le confort relatif (j'ai testé une fois), cela suppose se coucher et se lever comme le soleil...
Le lit surélevé et les tapis pour le soir.
Alors, Harran est-il un village hors du temps ? Non, si l'on considère la modernité de l'équipement de certaines maisons (air climatisé, appareils ménagers, télévision par satellite... etc.). Oui, si l'on considère les rues de terre battue et ces fameuses maisons coniques en terre glaise. Cela donne au visiteur l'impression d'être revenu, l'espace d'un instant, 2000 ans en arrière, ce qui ne sera pas pour lui déplaire...