La ville de Diyarbakır s'élève au nord de la plaine mésopotamienne, sur la rive droite du Tigre. La population à majorité kurde en a fait le bastion de son identité. Les violents affrontements qui ont opposé le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) et l'armée turque dans les années 80 ne sont plus d'actualité mais je me demande comment je vais y être accueilli...
La carte de la Turquie avec Diyarbakır en point de mire.
En arrivant à la Maison des Enseignants, je tombe sur un... Kurde qui me présente à ses amis... kurdes. Tout en jouant aux cartes, ils se renseignent sur mon identité et ma nationalité. Quand ils apprennent que je suis breton, le visage de l'un d'entre eux s'illumine.
"Vous, les Bretons, vous êtes comme nous, les Kurdes. Le gouvernement a tout fait pour faire disparaître votre culture, vos traditions et même votre langue et bien nous, les Kurdes, c'est pareil"*. Quand je lui demande comment il sait tout ça (la Bretagne paraît si loin vu d'ici !), il me dit qu'il a fréquenté une Bretonne pendant quatre ans. Tout s'explique ! D'un coup, la Bretagne se rapproche de Diyarbakır et nous devenons amis...
* La loi du Tevhidi Tedrisat du 3 mars 1924 instaure l’éducation et l’apprentissage au moyen d'une seule et unique langue, en l'occurrence le turc.
Les remparts en basalte qui ceinturent la vieille ville sont impressionnants par leur taille (12 m de haut, de 3 à 5 m de large et 5,7 km de long). Des escaliers permettent d'accéder au chemin de ronde. On peut ainsi quasiment faire le tour de la vieille ville à condition de regarder où l'on met les pieds...
L'impressionnante muraille et son chemin de ronde.
Bâtis à l'époque romaine, reconstruits par les Byzantins (VIe siècle) et renforcés par les Seldjoukides-Artukides (fin XIe siècle), ils n'ont pourtant pas résisté aux attaques des tribus arabes vers 638, ni aux hordes de Mongols au XIIIe siècle, pas plus qu'aux armées de Tamerlan (un guerrier turco-mongol) au XIVe siècle.
Les remparts de la vieille ville.
Ils comprennent quatre portes et quatre vingt deux tours et bastions. Sur la tour Nur Burcu, on trouve une inscription et des bas-reliefs très bien conservés, notamment un aigle à deux têtes, symbole du pouvoir chez les Seldjoukides, ainsi que des créatures fantastiques.
Détail de la tour Nur Burcu (XIe siècle).
Plus loin, sur la tour des Sept Frères (Yedi Kardeş Burcu), on retrouve l'aigle à deux têtes avec cette fois-ci deux magnifiques lions ailés.
La tour des Sept Frères (1208).
Détail de la tour des Sept Frères : un lion ailé.
A l'intérieur des remparts, on découvre de superbes bâtiments restaurés avec goût. C'est le cas du caravansérail Hasan Paşa aujourd'hui aménagé en terrasses de café et restaurants. L'alternance de pierres noires de basalte et de pierres blanches d'Urfa est une réussite.
Le caravansérail Hasan Paşa.
On retrouve cette alternance de couleur dans les arcades du caravansérail Deliller. Celui-ci a été construit entre 1521 et 1527 pour répondre aux besoins des marchands et des pèlerins voyageant vers les villes saintes de La Mecque et Médine ainsi que vers les pays situés sur la Route de la Soie comme la Syrie, l'Iran et l'Inde.
Le caravansérail Deliller aujourd'hui transformé en hôtel de luxe.
Autrefois, Diyarbakır comptait une communauté chrétienne importante, notamment des Arméniens et des Syriaques. La plupart ont péri ou quitté la ville lors du génocide de 1915 ou plus récemment à cause d'extrémistes islamiques. Malgré tout, quelques églises subsistent encore. C'est le cas de l'Eglise de la Vierge Marie (Meryem Ana Kilisesi). L'accès se fait par une cour dont l'entrée est surveillée par un gardien qui habite la maison jouxtant l'édifice avec sa famille. D'ailleurs aujourd'hui, tout le monde est réuni pour un repas de famille à l'ombre... du porche de l'église !
La façade de l'Eglise de la Vierge Marie.
Un des jeunes garçons va chercher la clé et m'ouvre la porte.
La porte d'entrée de l'église surmontée d'une croix pattée.
Je découvre alors une salle circulaire couronné d'un dôme tout en brique. C'est ici que les derniers membres de la communauté chrétienne syriaque viennent célébrer leurs offices.
La nef de l'Eglise de la Vierge Marie.
L'autel de style byzantin possède quelques belles icônes. Mais alors que je prends quelques clichés, le garçon qui me surveille du coin de l'oeil s'écrie "No photos ! No photos !" Il faut dire qu'avec les intimidations dont ils sont victimes, les minorités chrétiennes sont sur leurs gardes et mon hôte a visiblement eu des consignes...
Les précieuses icônes de l'autel.
L'autre église chrétienne toujours en activité à Diyarbakır est l'Eglise Chaldéenne de Mar Petyun (Keldani Kilisesi) dont l'origine remonterait au IVe siècle. Elle est aujourd'hui fréquentée par une trentaine de familles chaldéennes, des catholiques de rite oriental dont le Patriarcat est à Bagdad.
Les élégantes arches de l'église chaldéenne de Mar Petyun (XVIIe siècle).
Là aussi, je suis le seul visiteur mais cette fois-ci mon guide, un homme d'une cinquantaine d'années, est bien plus amical. Il m'autorise à faire toutes les photos que je souhaite.
Le choeur avec à droite, l'icône de la Vierge du Signe, figure très vénérée chez les chrétiens d'Orient.
Sur l'autel, le tabernacle avec les scènes de la crucifixion et de la résurrection.
En quittant Diyarbakır, je me rends compte qu'il n'y a pas que la minorité kurde qui se sent menacée. Les minorités chrétiennes (arménienne, syriaque, chaldéenne) également. Même si les esprits se sont calmés ces dernières années, il n'en reste pas moins que les tensions demeurent et que la méfiance, chez les uns et les autres, reste de rigueur.